Le droit de vote pour les expatriés : La Cour Suprême a tranché

Inès Bagaoui-Fradette

La Cour Suprême du Canada a rendu une décision le 11 janvier dernier, permettant aux émigrants canadiens d’exercer leur droit de vote, même après avoir passé cinq ans ou plus hors du pays. Depuis l’an 2000, la Loi électorale du Canada limitait le droit de vote à ceux qui avaient quitté leur mère patrie depuis plus de cinq ans, ce qui a été particulièrement renforcé sous le gouvernement Harper. Grâce à ce jugement, le premier de l’année pour la Cour Suprême, le droit de vote des canadiens étend sa portée.

L’appelant, Monsieur Gillian Frank, est un canadien qui a vécu à Toronto jusqu’à la fin de son diplôme universitaire à l’âge de 21 ans. Il est ensuite déménagé aux États-Unis afin de poursuivre ses études postsecondaires à l’Université Brown et réside présentement à Princeton. Le second appelant, Monsieur Jamie Duong, est originaire de Montréal et demeure en Virginie, après avoir étudié à l’Université Cornell. Ces deux individus ont manifesté un désir de revenir travailler au Canada, s’ils trouvent des emplois. Leur histoire débute en 2011, lorsque leur droit de vote a été refusé lors des élections fédérales de mai. 

La Loi électorale du Canada a comme objet de garantir le droit de vote à tous ceux qui remplisse les prérequis : être un citoyen de plus de 18 ans. Elle impose pourtant une « condition de résidence », qui indique que l’électeur doit voter à l’endroit où il habite. On permet tout de même aux citoyens vivant à l’étranger de voter grâce à un « bulletin de vote spécial ». À l’article 11d) de la Loi, on ajoute trois conditions à cette situation spéciale : il faut avoir déjà résidé au Canada, avoir l’intention d’y revenir de façon permanente et avoir quitté le pays moins de cinq ans avant les élections. 

Le cas a d’abord été entendu par la Cour Supérieure de Justice de l’Ontario en 2014, où on a déterminé que la limite de l’article 11d) était inconstitutionnelle. Selon la Charte canadienne des droits et libertés (art. 3), le droit de vote est garanti à tous les citoyens canadiens, sans exception. L’affaire s’est compliquée pour Frank et Huong lorsque leur cas s’est rendu à la Cour d’appel de l’Ontario en 2015. Les juges ont dit que cette violation de l’article 3 de la Charte était justifiée par l’article 1, qui mentionne que les droits peuvent être restreints dans des limites raisonnables et démocratiques. 

Nous nous retrouvons donc à la Cour Suprême, la Cour canadienne ayant le plus d’autorité sur tous les domaines de droit. La Cour avait comme mandat de déterminer si le droit de vote peut véritablement être limité de manière raisonnable et démocratique. Le jugement n’était pas unanime, puisque cinq juges sur sept étaient de l’avis de Frank et Duong. Les juges majoritaires ont basé leur décision sur le principe d’interprétation large qui domine les décisions de la Cour depuis des années. Ce concept exige que les droits garantis au Canada doivent être analysés de manière à inclure le plus de situations possibles. La Cour doit donc étudier une loi d’après son but véritable, et baser ses choix sur celui-ci. En suivant ce principe, les juges ont dit que le droit de vote doit être disponible à tous les citoyens, et qu’il doit être protégé afin de maintenir la qualité de la démocratie canadienne. 

Puis, les juges ont adressé le rôle que la résidence joue dans ce cas. Ce dernier était l’argument principal du Procureur Général, qui affirmait que le lieu de résidence avait une importance cruciale dans le droit de vote. Or, la Cour a rejeté cet argument, en confirmant que la résidence servait principalement à l’organisation du droit de vote mais ne constituait pas le facteur dominant. Le Juge en Chef Wagner a même déclaré que « le monde a changé » : avec la mondialisation d’aujourd’hui, on modifier notre conception de résidence. Quant à la limite démocratique de l’article 1 de la Charte, les juges ont déterminé qu’elle ne pouvait pas justifier la Loi électorale du Canada. D’après le test standard pour des situations comme celle-ci, il faut prouver que la limite a un objectif urgent et réel, qu’il porte une atteinte minimale au droit des citoyens, et que les effets bénéfiques sont plus grands que les effets néfastes. Les juges ont affirmé que tous ces critères n’ont pas été remplis. 

En somme, nous avons pu assister à une décision qui sera sans aucun doute marquante pour l’histoire canadienne. Le gouvernement Trudeau a déjà présenté une loi qui enlève la limite de cinq ans, et le jugement vient assurer que les gouvernements futurs ne pourront pas la ramener à la vie. 

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