Coupures à la Laurentienne, le grand déballage de Denis Hurtubise laisse sans voix
Denis Hurtubise, directeur du département de philosophie à la Laurentienne. 📸 Twitter
Directeur du département de philosophie, Denis Hurtubise est également l’un des porte-parole du Regroupement des professeur.e.s francophones (RPF) qui est au four et au moulin depuis la mise sous contrôle judiciaire de l’Université Laurentienne le 1er février 2021. L’objectif était de préserver les programmes en français. Mais face à l’annonce de la suppression de près de 50% des programmes de langue française, le 12 avril dernier, M. Hurtubise s’est confié à L’Orignal Déchaîné pour mettre à nu le « visage hideux » de la restructuration de la Laurentienne. Entrevue…
C’est un grand coup de froid dans son dos. Il s’attendait à tout sauf à un tel cisaillage des programmes de langue française à l’Université Laurentienne jusqu’à la moelle épinière. Lui, c’est bel et bien Denis Hurtubise, professeur agrégé de philosophie. Le département dont il est le premier responsable, il l’a vu passer à la hache. Et comme si cela ne suffisait pas, les lettres de remerciements ont saigné en cette matinée du 12 avril 2021.
Une journée qu’on qualifierait désormais de « lundi noir » de la communauté franco-ontarienne. « On [le regroupement des professeur.e.s francophones] est très actif depuis le début de la crise. On se doutait que ces programmes seraient durement frappés. On ne pensait pas qu’ils seraient aussi durement frappés comme ça », a déclaré M. Hurtubise.
Du secret des dieux à un processus « arbitraire »
Pour le directeur du département de philosophie de l’Université Laurentienne, il est clair que ce « fameux processus judiciaire » qui s’est déroulé dans le secret des dieux semble, à la lumière des renseignements qui sortent au compte-gouttes, « arbitraire ». En le disant ainsi, il s’appuie sur des faits et non des opinions.
En fait M. Hurtubise a réalisé que ce n’est pas la ‘’petitesse’’, au sens du ratio étudiants inscrits vs professeurs, de certains programmes qui aurait toujours motivé leur coupure. Puisque si tel était le critère éliminatoire, le programme en français de sage-femme, le seul hors Québec, qui fonctionnait très bien, ne serait pas une victime si l’on en croit le porte-parole du RPF.
« Il y a « quelque chose d’éberluant dans cette restructuration qui porte à croire qu’il y a un biais contre les humanités et les sciences sociales. » - Denis Hurtubise
Connaissant les chiffres dans tous les départements, Denis Hurtubise a comparé le ratio étudiants-professeurs de la faculté des Arts qui comprend beaucoup de programmes qui s’alimentent les uns les autres (philosophie, géographie, sciences politiques, droit et justice, Études françaises, etc.). Il s’est rendu compte qu’il y a certaines grappes de programme dans les disciplines d’autres facultés qui n’ont pas été coupées.
« Si on avait suivi la logique des coupures dans les programmes basés sur le nombre d’étudiants, on aurait coupé beaucoup plus de programmes dans d’autres facultés. Mais on a coupé à la faculté des Arts seulement. Alors que si on se basait sur le nombre, il n’y avait aucune raison de couper à la faculté des arts plutôt que d’autres programmes d’autres facultés. » - Denis Hurtubise
Mais ce qui s’apparente à une fatwa contre la faculté des Arts pourrait trouver des explications dans les propos qui suivent. Au dire du prof de philo, le recteur de l’Université Laurentienne a indiqué dans une note de service que « c’est le comité de six qui représentait le Sénat dans le processus de restructuration qui a proposé les programmes » qui ont été hachés.
Une pratique « scandaleuse » du comité de six
Cet argument de Robert Haché n’est pas battu en brèche par Denis Hurtubise qui reconnaît effectivement que « les six personnes se sont représentées elles-mêmes, parce qu’elles n’ont pas été en contact avec le Sénat » jusqu’à l’annonce du lundi 12 avril 2021. De plus, « parmi les six personnes, dont trois profs, il n’y avait pas un représentant de la Faculté des arts », révèle le directeur du département de philosophie. Et comme il fallait s’y attendre, c’est à la faculté des Arts que le charcutage s’est plus fait ressentir dans les programmes en français.
« Dans deux cas sur trois, les Facultés concernées n’ont pas été touchées. On a été très surpris d’apprendre par le recteur lundi 12 avril que ce sont les six représentants du Sénat qui ont proposé ces coupures », dénonce Denis Hurtubise.
Si M. Hurtubise juge « scandaleuse » cette pratique du comité de six personnes. Toutefois, il estime que « rien » ne justifie les coupures annoncées dans les programmes en français. D’autant plus que le gouvernement fédéral verse 12 millions de dollars chaque année à l’Université Laurentienne par l’entremise du gouvernement provincial afin d’appuyer les programmes en français dans un contexte minoritaire.
« Toutes les Universités en milieu minoritaire reçoivent un financement issu du Programme des langues officielles en enseignement de Patrimoine Canada. C’est un élément central dans le dossier. » - Denis Hurtubise, porte-parole du Regroupement des professeur.e.s Francophones de l’Université Laurentienne.
Poursuivant, il explique qu’en dehors des 12 millions de dollars du fédéral en milieu minoritaire, les Universités ont deux sources de financements à savoir les frais de scolarité et le financement provincial. Ce financement, dit-il, est calculé selon une formule mathématique. « En conséquence, la Laurentienne n’a ni plus ni moins de financement que d’autres Universités en Ontario. C’est la même formule qui s’applique à toutes les Universités en Ontario », martèle M. Hurtubise, tout en dénonçant « un sous financement des universités en Ontario », même si cela n’affecte pas que la Laurentienne.
L’argent est “pompé” chaque année à la Laurentienne
Mais le directeur du département de philosophie de l’Université semble connaître en partie ce qui affecte les finances à l’Université Laurentienne. Parmi les causes qui auraient clairement identifiées, en dehors de la COVID-19, il évoque les dettes causées par la construction, la rénovation de l’Université et le remboursement de la dette.
📸 Mohammed El Mendri, étudiant en droit et justice à l’Université Laurentienne de Sudbury.
Ce qui est déplorable selon M. Hurtubise, c’est le fait qu’« une partie de l’argent, qui normalement devrait aller à l’enseignement, financer la recherche, le fonctionnement de l’Université, est pompée de l’enveloppe des opérations pour payer les intérêts de la dette ». On n’a qu’à consulter les documents de planification budgétaire des dernières années de l'université pour le constater.
« Une partie de l’argent, qui normalement devrait aller à l’enseignement, financer la recherche, le fonctionnement de l’Université, est pompée de l’enveloppe des opérations pour payer les intérêts de la dette. » - Denis Hurtubise
Toujours au titre des causes des trous financiers de la première université du nord de l’Ontario, il faut noter la fermeture du campus de Barrie en 2016. Le porte-parole du RPF avance le fait qu’environ 20 enseignants de ce campus ont été reversés à l’Université Laurentienne. En plus de cela, il dénonce les pratiques de recrutement des étudiants internationaux, qui pendant de nombreuses années ne générait des inscriptions, en grand nombre de surcroît, dans les programmes offerts en anglais presqu’exclusivement.
En attendant une enquête pour situer les responsabilités…
« La Laurentienne n’a pas suffisamment investi dans le recrutement d’étudiants à l’international comme l’on fait d’autres universités en Ontario. Pendant près de 15 ans, la Laurentienne n’a recruté des étudiants internationaux que dans des programmes en anglais ou à peu de choses près. Elle a négligé le recrutement en français. Il y a seulement trois ans que l’Université a engagé quelqu’un pour recruter les étudiants internationaux dans des programmes en français, et il vient d’être congédié », révèle Denis Hurtubise.
Justement, qu’est-ce qui expliquerait ce licenciement massif des enseignants si ces derniers ne sont pas la cause des problèmes financiers de l’Université Laurentienne? « très bonne question » dit M. Hurtubise qui pense que « seule une enquête » pourrait nous en dire plus. « C’est une question à laquelle une enquête devra répondre. Peu importe la forme que cela va prendre », fait-il valoir.
Un « arrangement » pour sauver la Laurentienne
En attendant, le Regroupement des professeur.e.s francophones se dit très galvaniser surtout par les appuis de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) et de la Coalition des francophones de la région de Sudbury qui sont en faveur d’un « arrangement universitaire par et pour les francophones ». Fort de ces soutiens, Denis Hurtubise croit dur comme du fer qu’il n’y a qu’une seule solution, « remettre en place les programmes coupés par un arrangement » pour sauver La Laurentienne de cette « tragédie ». Au risque d’assister à un « évidement » de la région de Sudbury et inévitablement à une « anglicisation » de l’Université.
« En coupant la moitié des programmes de premier cycle (48%), cela veut dire qu’il n’en reste plus que 22 sur 42 cheminements possible en français. » - Denis Hurtubise
Pour étayer ses dire, il part du principe qu’en coupant la moitié des programmes de premier cycle (48%), cela veut dire qu’il n’en reste plus que 22 sur 42 cheminements possible en français. Ainsi, les jeunes francophones du primaire, du secondaire et même à l’Université, qui voulaient étudier dans les 20 disciplines coupées, vont soit s’exiler dans le Sud ou être obligés d’étudier en anglais à la Laurentienne.
« Si les coupures sont maintenues telles qu’elles sont, on se dirige d’une part vers l’anglicisation de la laurentienne et d’autre part vers l’évidement du bassin de population francophone de la région de Sudbury. C’est un grand tort qu’on fait finalement à la francophonie du nord de l’Ontario. Ce sera finalement une perte pour la communauté. C’est très grave », conclut Denis Hurtubise, directeur du département de philosophie et porte-porte du RPF de l’Université Laurentienne.
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